« Comprenez dès lors que le rire soit une anomalie, une déformation des lèvres au même titre que le fameux rictus cadavérique… »
Tous les jours que Dieu fait, il est impératif de pleurer.
De tout.
Pour éviter d’en rire.
La vie est d’un tragique…
A tous les Candides et optimistes forcenés qui en douteraient encore, il est de notre devoir d’éclairer leur lampe-tempête. Le bébé se met à hurler dès lors qu’il jaillit hors du ventre de sa mère. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas content.
Nous éviterons de nous apesantir sur les sujets qui fâchent en survolant pudiquement le fait que les parents du dit bébé n’ont pas jugé nécessaire de l’associer à l’affaire avant qu’il ne naisse – en lui demandant au préalable (par un moyen technique à inventer ou un médium à dénicher) – son avis de petit bébé à naitre, avant de le télescoper dans ce monde qui n’est délicieux que pour deux catégories de névrosés bien établies : les masochistes et les sadiques.
Après cela, ce sont les mêmes qui viennent nous parler des droits de l’enfant.
Droits bafoués dès la naissance dirait le nouveau-né si nous prenions la peine de traduire en langage intelligible ses areuhs areuhs, agagas et autres sourires d’édenté revendicatif.
Et le pauvre nourrisson, la tête posée entre deux seins survitaminés (qu’il se devra de téter jusqu’à l’usure), le pauvre pauvre bébé, de se demander quel crime il a commis pour être condamné à subir cette vie qu’à sa connaissance, il n’a jamais sollicitée.
Parce que les livres religieux ont bien verrouillé l’affaire : bienvenue mon petit, un petit baptême pour faire rire le bédouin mais formelle interdiction de repartir de ton plein gré car tu dois attendre que ton heure soit venue pour aller (retourner ?) folâtrer dans les prairies du grand Manitou, une fleur entre les dents, ou pas.
La vie est donc bien une condamnation et le monde une gigantesque prison à ciel ouvert. Prison dont l’on ne doit en aucune façon s’échapper de son propre fait, autrement dit : impossible de s’ôter la vie. La démonstration en est la suivante : bien que notre vie nous appartienne – puisque nous l’avons reçue en cadeau – il est noté quelque part en petits caractères que certes nous en sommes l’heureux propriétaire, cependant nous ne la possédons pas vraiment car dans l’affaire, les hautes instances célestes nous ont damé le pion, puisqu’étant prééminentes par rapport à nous, sur notre propre vie. S’ôter la vie – acte personnel s’il en est – devient donc un crime doublé d’un sacrilège : nous voila prévenus !!! Alors non seulement interdiction absolue de vous débarrasser de votre propre « vida loca» qui vous rend totalement « loco » et vous empoisonne… l’existence toute votre vie durant, mais en sus, vous vous devez de chérir ce «magnifique» cadeau, fait par vos propres parents, qui ne pensaient qu’à eux au moment de l’acte !
Kafkaïen.
Que quelqu’un ou même quelqu’une puisqu’il parait que l’affaire se fait à deux, ose prétendre le contraire. Personne ? Bon.
Et si mue par une lancinante déprime chronique, vous réussissez à fomenter un cambriolage factice dont le but ultime est de vous escamoter subrepticement votre propre vie au passage (ni vu ni connu l’opération est un suicide qui ne veut pas dire son nom), eh bien pas de quartier ! les hautes instances célestes étant omnipotentes et omniscientes, elles ne vont pas vous rater : direct à rissoler sur le barbecue de Satan lui-même, (si ce n’est pas lui ce sera son frère), qui se fera un Malin plaisir de vous raconter des histoires qui vous feront monter la calor (en même temps, à ce stade de votre mort, vous ne serez plus à un Celsius près).
Des histoirrrrres terrrrribles, terrrrrifiantes, à vous faire faire dresser les cheveux sur la tête (même si vous êtes chauve, vous ressentirez le truc). Vous claquerez des mandibules, enfin votre âme, (si elle est sympa), claquera des dents pour vous.
Comprenez dès lors que le rire soit une anomalie, une déformation des lèvres au même titre que le fameux rictus cadavérique, qui entre nous n’a jamais fait rire personne, à part le mort. Et encore.
Parce qu’il ne faut pas rêver, de par notre façon de vivre en ce bas monde : coups bas en veux tu en voilà (même si tu n’en veux pas tu en auras), trahisons dans tous les coins, crimes divers et variés, vols, mensonges, égoïsme, viols plus ou moins aggravés mais toujours « avec le consentement de la victime je vous le jure monsieur le juge », après la mort, ce sera fiesta pour tout le monde chez le Grand Cornu avec comme consolation (substantielle il est vrai) : James Brown et Marvin Gaye en fond sonore, à supposer que les deux compères arrivent à brailler plus fort que nos congénères de charbon.
Et comme les moutons, bœufs, béliers, chèvres de monsieur Seguin et autres viandes àméchoui sont persona non grata aux enfers, devinez qui va les remplacer ad vitam æternam sur la grande rôtissoire : notre auguste personne qui n’en cauchemardait certes pas tant.
Un homme averti en vaut parait-il deux ou même trois (soyons généreux : le suaire est extensible, le cercueil diablement accueillant), mais averti ou pas, à un, deux ou même trois, las ! nous rissolerons tout de même.
Condamnés à survivre ici bas, les uns la tête à l’endroit les autres la tête à l’envers,
les uns souffrant de l’altitude du haut de leurs longues jambes, les autres culs de jatte, les uns le derrière plus plat que le relief de la Belgique, les autres lestés d’un arrière-train nécessitant une remorqueuse, quand les uns sont calcinés par le soleil, tandis que d’autres roidissent de froid !!! soyons contents, soyons contents.
Et lorsque d’aventure vous vous décidezà mourir, les vivants terriblement en verve, s’adonnent à de douteux exercices de style sur votre cadavre encore fumant. En rimes ou en prose, baroque ou classique, c’est au choix. Du moins pour eux. Car de là où vous êtes, vous n’aurez évidemment qu’une option bien assourdissante il est vrai : le fameux silence de mort qui n’a jamais si bien porté son nom.
Pendant ce temps, du coté des vivants, ce seront fort trémolos et envolées lyriques. « C’est Dieu qui l’a voulu », « il a passé l’arme à gauche », « il est mort de sa belle mort », sans compter le champêtre « il est entré dans les jardins du Seigneur », ou la culottée métaphore gravitationnelle « que la terre lui soit légère » : tournure d’une exquise joliesse mais nonobstant le fait qu’amis, famille et ennemis – pour une fois à l’unisson- ont fait le choix de vous faire ensevelir sous quelques mètres cubes de terre… bien tassée !
De peur que vous n’en réchappiez ?
De peur que vous en réchappiez.
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N’oublions pas le plus qu’incongru « il est heureux maintenant », expression sous tendant que vous avez entièrement raté votre vie et que votre état ci-devant de décédé chronique est l’apogée, pour ne pas dire le nirvana, de votre cycle d’existence.
Et qu’est ce qu’ils en savent eux des « jardins du Seigneur » et des « il est heureux maintenant » ? On se le demande. Car vous, coincé dans la firme sans ventilateur de Satan and co, exactement à équidistance entre le charbon et la flamme, vous, talonné par le très dynamique, très entreprenant et très très désespéré Syndicat des Damnés qui vous a élu porte-parole de la cause dès que vous avez déboulé dans la place, vous hurlez haut et fort afin que les maitres des lieux vous indiquent une position, juste une seule par pitié ! pour pouvoir griller toute l’éternité certes, mais en éprouvant une toutoute petite sensation de confort, si ce n’est pas trop demander.
Et talonné par le syndic et encore plus par les flammes, vous aurez beau vous égosiller, aucune instance cornue ne vous prêtera son oreille velue.
Tombant de Charybde en Shilla et rebondissant de Shilla en charbon, vous devrez vous rendre à cette évidence ô combien cruelle pour le démocrate convaincu que vous êtes : non, le régime infernal n’a rien d’une démocratie éclairée.
Ah bon ! ferez vous faible de ce constat.
Et pendant que vous rameutez ce qui vous reste de neurones pour trouver un quelconque moyen de la jouer « prison break » fissaet échapper à cette situation qui n’a selon vous que trop duré, de l’autre coté de la vie, vos « amis », l’air plus congestionné que jamais, continuent leur douteuse litanie : « ah, les jardins du Seigneur », « ah il est heureux maintenant ».
Et dire que vous pensiez que ces gens étaient vos amis…
Et dire que vous pensiez que vos parents vous aimaient…
Vous sentant soudain très seul bien qu’étant étonnement bien entouré dans cette station balnéaire very fashion, very VIP et méga surchauffée qu’est l’enfer, vous n’aurez que vos yeux pour pleurer (à supposer que globes oculaires et glandes lacrymales aient consenti à vous suivre dans le four). Les flammes vous chatouillant de toute part, la dernière chose que vous aurez envie de dire, ce sera bien « merci papa, merci maman ».
C’est ainsi que quoique l’on puisse être cliniquement décédé, on continue semble t’il, d’ouïr, perfectamente; et de n’en «cogito ergo sum» («je pense donc je suis»), pas moins.
Qu’on se le dise.
On vous l’écrit.
A part ça, ça va.
Irène Idrisse