Dans ma dernière contribution, j’ai passé en revue quelques maux qui gangrènent notre administration et m’étais engagé à poursuivre cet exercice.
Il convient d’ores et déjà de rappeler...
l’engagement ferme du candidat à l’élection présidentielle du 25 mars 2012 à « réduire de façon drastique » les agences nationales d’exécution, une fois élu. Depuis bientôt quatre ans de magistère, cet engagement est loin d’avoir été totalement respecté. Certes, des agences ont été supprimées, mais d’autres s’y sont au fur et à mesures ajoutées.Ces agences, les anciennes comme les nouvelles, traînent de graves anomalies, parfois par ignorance, parfois consciemment entretenues. En outre, nombre d’entre elles n’ont pas de contenu précis. Pendant qu’on y est, on ne sait pas qui est qui et qui fait quoi dans certaines agences. Pas l’ombre d’un organigramme qui est pourtant un instrument d’organisation efficace. Quand, dans un service, l’organigramme est bien fait, en bonne place et respecté, on se fait une idée exacte de ce service dès qu’on y met les pieds. C’est malheureusement loin de ce qui existe dans ces structures administratives. Dans bien des cas, les recrutements se font à la tête du client avec, parfois, des écarts de salaires que rien ne justifie, et qui créent de grosses frustrations.
Il convient de signaler également, qu’à la tête de la plupart de ces agences, même les plus squelettiques, trônent des directeurs généraux. Un directeur général suppose des directeurs à son service. Ce qui alourdit et renchérit l’agence, sans efficacité prouvée. Il y a aussi que nombre de ces directeurs généraux en sont à leur première expérience : ils n’ont jamais dirigé le plus petit service dans leur vie. Parfois, nous avons du mal à mettre un nom sur leurs visages.
Cette remarque est valable pour les directions des ministères. De nombreux directeurs généraux y sont nommés avec, à sous leur tutelle, de nombreux directeurs. Cette tendance à faire toujours plus grand, plus important, s’est étendue aux régions où les chefs de services régionaux ont disparu, pour laisser la place à des directeurs de services. Ce qui entraîne, évidemment, plus de conséquences financières : l’indemnité payée au directeur de service régional n’est sûrement pas la même que celle payée à un chef de service régional.
Avant le 19 mars 2000, l’administration sénégalaise n’était pas aussi lourde qu’elle l’est aujourd’hu. Jusqu’à cette date, le nombre des agences d’exécution se comptait pratiquement sur les doigts d’une main. Il y avait certainement des directions générales, mais de grosses directions générales, qui en valaient vraiment la peine. Elles comportaient, naturellement, des directions subdivisées elles-mêmes en services. Puis venaient les divisions et les bureaux. On me rétorquera facilement : « Mais, c’est ce qui existe aujourd’hui. » Ce n’est pas tout à fait exact. D’abord, il y en avait beaucoup moins à l’époque, et elles n’étaient pas créées à tout bout de champ. Sans compter que les hommes et les femmes qui dirigeaient ces structures en avaient le profil, pour l’essentiel tout au moins.
Loin de moi, l’idée que l’administration était sans faute du temps des présidents Senghor et Diouf. Elle avait certainement ses faiblesses, ses failles, ses manquements. Ce que je peux affirmer, par contre, c’est que, malgré tout, nous avions en général une bonne administration, une bonne fonction publique. Nous avions de bons fonctionnaires, parfois d’excellents qui nous honoraient dans les institutions internationales publiques et privées. Je n’avance pas, évidemment, qu’ils étaient tous honnêtes. Cela, c’est une autre affaire.
Pour revenir à l’administration post 19 mars 2000, elle est de plus en plus lourde et, partant, de moins en moins efficace. On y nomme, à des fonctions importantes et parfois stratégiques, des compatriotes qui sont loin d’avoir le profil de l’emploi. Je pense, par exemple, à la fonction de Directeur de l’Administration générale et de l’Equipement (DAGE). On se permet d’y bombarder des « juristes », des « économistes », des « planificateurs » et que sais-je encore. Les meilleurs profils pour occuper cette fonction, ce sont sûrement les énarques (administrateurs civils, inspecteurs du Trésor, commissaires aux enquêtes économiques, inspecteurs des impôts). Comme l’a fait remarquer d’ailleurs l’IGE dans son Rapport public de juillet 2014, « on ne nomme pas une personne n’ayant aucun lien avec l’administration au poste de DAGE et donc à un poste de responsabilité au premier plan, de la gestion des ressources publiques (page 33) ». Cette interdiction devrait être aussi étendue – si elle ne l’est déjà – à la fonction d’inspecteur aux Affaires administratives et financières (IAAF). Les mêmes personnes qui sont nommés DAGE devraient l’être ici.
Il convient aussi de le souligner : pratiquement, tous les ministères, même les plus malingres, sont dotés de DAGE, alors qu’il ne devrait pas en être ainsi. Un Service de l’Administration générale et de l’Equipement (SAGE) suffirait largement pour certains ministères, qui se réduisent à quelques directions sans importance particulière. Pendant plusieurs années, la Primature et la Présidence de la République avaient un SAGE plutôt qu’une DAGE. C’est donc une raison supplémentaire de réhabiliter ce service dans l’administration centrale et, en même temps, les fonctionnaires de la hiérarchie B qui perdent de plus en plus du terrain dans la Fonction publique. A la tête des SAGE, devraient être nommés, prioritairement, des secrétaires d’administration, des secrétaires municipaux, des contrôleurs des Impôts, des contrôleurs du Trésor, etc. Ce sont aussi les premiers (les secrétaires d’administration) qui devraient être nommés sous-préfets et /ou adjoints aux préfets. Ils sont bien formés pour cette fonction.
Que constate-t-on aujourd’hui ? Que des infirmiers d’Etat, des assistants sociaux, des agents techniques de l’élevage, de l’agriculture, des eaux, forêts et chasse, etc, sont nommés à ces fonctions pour lesquelles ils ne sont manifestement pas préparés. Il convient d’y remédier rapidement en augmentant sensiblement le nombre de candidats à admettre dans les Sections A et B de l’Ecole nationale d’Administration (ENA) – il me semble que l’idée fasse son chemin.
J’ai choisi de réserver les dernières lignes de cette contribution à un très haut fonctionnaire sénégalais qui est l’âme, la mémoire du ministère où il est en fonction. Il s’agit du secrétaire général qui perd de plus en plus de sa superbe depuis le 2 avril 2000, et n’est pas sur le point de la retrouver avec la seconde alternance. Je me suis toujours intéressé à cette fonction prestigieuse au point de l’avoir passée souvent en revue aussi bien dans mes contributions que dans mes livres. Ainsi, aux pages 73-74, Chapitre V, de mon dernier livre « Le Clan des Wade : accaparement, mépris et vanité », publié en septembre 2011, j’écrivais ces mots à propos de cette prestigieuse fonction : « (…) Arrêtons-nous d’ailleurs un peu sur ce poste stratégique de Secrétaire général de ministère! C’est un très haut fonctionnaire, en principe l’un des plus gradés, des plus compétents et des plus expérimentés de sa hiérarchie. Nommé à ce poste, il est la mémoire du ministère dont il assure la permanence et la continuité des services. Quand le département change de titulaire, il reste sur place et accompagne le nouveau ministre tout le temps nécessaire pour le familiariser avec les dossiers.
Ce haut fonctionnaire est donc caractérisé par sa stabilité. Il ne devrait pas être n’importe quel agent qu’on affecte à tout bout de champ et à la moindre incartade. On ne devrait pas en rencontrer dans tous les coins de rue, dans tous les ministères, y compris les plus insignifiants et surtout à durée de vie limitée (….) ». Je rappelais aussi (page 74) qu’au moment où les Socialistes quittaient le pouvoir le 19 mars 2000, seuls quelques gros ministères en étaient dotés. Ils devraient être entre trois et cinq. J’en ai cité quelques-uns à la même page (74), bien connus pratiquement du grand public, car ils étaient loin d’être nés de la dernière pluie.
Aujourd’hui, ce haut poste perd de plus en plus de son prestige et est pratiquement à la portée du premier venu. Chaque nouveau ministre s’empresse de faire nommer son secrétaire général, sans se soucier le moins du monde de son profil. Avec l’instabilité gouvernementale que nous connaissons depuis le 2 avril 2000, on assiste régulièrement à des valses de secrétaires généraux, dont la majorité trouveraient difficilement un poste de conseiller technique dans un gouvernement normal
J’ai publié « Le Clan des Wade . . . . », en septembre 201I. Bien avant d’ailleurs, la banalisation de la « station » de secrétaire général de ministère me navrait. Je suis heureux de constater que, dans son Rapport public de 2014, l’IGE regrette la prise de certaines mesures individuelles contraires à la réglementation en vigueur. Ainsi, elle pointe du doigt « la nomination, par décret, à de hautes fonctions, de personnes ne remplissant pas les critères requis, notamment la qualité de fonctionnaire et l’appartenance à la hiérarchie exigée ». Parmi ces nominations, figure en bonne place celle « en qualité de secrétaire général de département ministériel, de contractuels ou d’agents non fonctionnaires de la hiérarchie A, en violation de l’article 2 alinéa 2 du Décret n° 2002-1173 du 23 décembre 2002 instituant un secrétaire général dans certains ministères ».
Donc, il ne devrait pas être donné à tout le monde d’accéder à la fonction de Secrétaire général de ministère, ni à tous les ministères d’en être dotés. L’IGE met aussi en évidence d’autres mesures individuelles contraires à la réglementation. Je cite pour exemple « la nomination de consuls généraux n’ayant pas une formation appropriée en matière administrative et financière ». Pourtant, de tels consuls sont légion dans les ambassades. Pour d’autres cas similaires de nominations non respectueuses de la réglementation, je renvoie le lecteur aux pages 33 et 34 du Rapport de juillet 2014 de l’IGE.
Compte tenu donc de ce qui précède, l’administration sens dessus dessous que nous avons héritée de l’alternance I, attend encore les mesures de ruptures promises pour être remise à l’endroit. Elle ne le sera sûrement pas tant que les meilleurs profils ne seront pas nommés à ses postes les plus importants. N’importe qui ne devrait être pas nommé à une fonction importante sans y avoir été préalablement préparé. Sans doute, la Constitution permet-elle au Président de la République de « nommer à tous les emplois civils et militaires ». Dans son livre « Portraits, souvenirs, 50 ans de vie politique », Edition PLON, page 91, Alain Duhamel qualifie ces nominations individuelles de « jouissance suprême du pouvoir présidentiel ». Toutefois, une lecture républicaine de cette importante prérogative devrait retenir parfois le Chef de l’Etat et lui éviter de ne pas toujours abuser de cette « jouissance suprême ». En abuser, c’est permettre au parti au pouvoir d’avoir une avance confortable sur la Nation, contrairement à la promesse qui nous avait été fermement faite. Il y a surtout que, une administration efficace, qui gagne, c’est celle qui place à ses avants postes les meilleures d’entre nous. Des femmes et des femmes qui travaillent plus qu’ils (elles) ne parlent, avec méthode, rigueur et honnêteté.
Ces derniers temps, comme souvent d’ailleurs, nous avons entendu beaucoup discours, trop de discours. Nous avons été témoins d’interminables balades politiciennes pour inaugurer des blocs scientifiques. Nos oreilles ont été rabâchées par des engagements fermes à construire des infrastructures dans tous les foyers religieux du Sénégal. De tels foyers, combien y en a-t-il dans le pays ? Combien de milliards les engagements pris nous coûteront-ils ? Est-ce pour la réalisation prioritaire de ces engagements que nous avions voté sans équivoque pour le candidat qui dirige aujourd’hui le Sénégal ? ? En outre, qu’en sera-t-il de nous autres, qui habitons dans les autres centres urbains et surtout dans les bourgs les plus reculés ? Quand aurons-nous notre part du gâteau avec la même célérité ? Suis-je en train de rêver, d’oublier que nous ne sommes pas des donneurs de ndigël de vote ? Toutes ces questions méritent quand même d’être posées, en attendant d’autres qui le seront probablement dans nos prochaines contributions, dans le seul souci de savoir si les engagements pris, et pour lesquels nous avons donné 65 % de nos suffrages, sont en conformité avec ce qui se fait sous nos yeux depuis le 2 avril 2012.
Dakar le 31 Décembre 2015
Mody NIANG