Depuis plusieurs mois, principalement depuis les dernières élections législatives,
des amis, y compris de très proches pour qui j’ai beaucoup de respect, me demandent de tourner la page des forfaits de la longue gouvernance de l’ancien président Wade. Leur principal argument, c’est qu’il reste encore populaire, et peut contribuer à faire battre le président-politicien en février ou en mars 2019. J’ai essayé, mais sans succès : on peut difficilement passer l’éponge sur les forfaits, les scandales gravissimes qui ont jalonné sa longue gouvernance.
Dans mes livres comme dans mes contributions, je rappelle ce mépris qu’il a toujours affiché à notre endroit, mépris ainsi décliné : « Le Sénégalais a de la peine à se souvenir de son dîner de la veille, et ne croit qu’à l’argent et aux honneurs. » Et, C’est à partir de cette conception singulière et peu valorisante pour le peuple sénégalais, qu’il nous a gouvernés pendant douze longues années. Nous serions donc amnésiques et aurions tous un prix. Fort de cette certitude, il passait allègrement d’un scandale à un autre, et se déplaçait intra comme extra muros avec des mallettes bourrées de fric. Tirant bien plus vite que Lucky Luc, il distribuait à tout bout de champ des centaines de millions de francs à une catégorie de Sénégalais bien ciblés, de qui il pouvait attendre un coup de pouce électoral : hauts magistrats, officiers supérieurs et généraux des Forces de Sécurité, ministres, autorités administratives (gouverneurs, préfets), élus locaux et nationaux, chefs religieux, etc. Ces mêmes privilégiés tirés sur le volet, bénéficiaient aussi de parcelles de terrain à l’occasion des lotissements dans les zones les plus courues de Dakar : réserves foncières du CICES, du Stade Léopold-Sédar-Senghor, de l’Aéroport international de Dakar, domaine maritime, etc. Le Sénégalais moyen ne retenait guère son attention. Sa ‘’générosité’’ coupable, sélective et manifestement injuste est à l’origine des différentes tensions qui chauffaient le front social et que nous traînons encore, longtemps après son départ du pouvoir.
On veut nous demander d’être sourds, aveugles et indifférents aux graves forfaits dont l’ancien président-politicien s’est rendu coupable entre le 2 avril 2000 et le 2 avril 2012. Si on tourne aussi facilement la page de ses crimes, personne ne devrait plus être poursuivi. J’ai toujours refusé de tomber dans ce travers et, chaque fois que l’opportunité m’a été donnée, j’ai fait remonter en surface ces scandales que l’on veut passer aujourd’hui par pertes et profits, sous le prétexte que son auteur peut contribuer à faire battre son successeur en février ou en mars 2019. Scandales graves, dont le moins grave est infiniment plus grave que l’Affaire du Watergate qui avait valu au président Richard Nixon, sa démission forcée en 1974. J’affirmais souvent avec force, que si nous vivions dans une vraie démocratie, avec une justice indépendante et des citoyens informés, conscients de leurs responsabilités et, partant, capables d’indignation, le ‘’créateur de milliardaires’’ serait dans le meilleur des cas destitué et, dans le pire, traduit devant la Haute Cour de Justice pour haute trahison. Peut-être d’ailleurs, n’aurait-il jamais eu l’opportunité de solliciter un second mandat en 2007, encore moins un troisième à l’âge de 88 ans.
On peut aussi donner l’exemple de l’ancien président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, qui a présidé son pays de 2003 à 2010. Accusé de corruption et de blanchiment d’argent, celui que l’on considérait comme ‘’l’icône de la gauche’’ a été condamné, en première instance, le mercredi 12 juillet 2017, à neuf ans et six mois de prison. Il a été reconnu coupable d’avoir accepté l’équivalent d’un million d’euros (dont un appartement dans une station balnéaire de Sao Paulo) de la part d’une entreprise d’ingénierie. Il a fait évidemment appel de sa condamnation. Celle qui lui a succédé, Dilma Roussef, a été aussi destituée pour « avoir manipulé, maquillé les comptes publics pour cacher les déficits publics et se faire réélire en 2014 ». Cette faute avait provoqué une vague d’indignation populaire qui l’a emportée.
Une autre présidente, celle de la Corée du Sud, Park Geun-Hye, a été destituée le 12 mai 2017 par la Cour Constitutionnelle, qui confirmait la destitution votée par l’Assemblée nationale en décembre 2016. Que mes compatriotes tendent bien les oreilles ! Les juges ont sanctionné « le fait que Mme Park avait enfreint la loi en permettant à sa confidente secrète, Choi Soon-Sil, de se mêler des affaires de l’Etat et qu’elle avait contrevenu aux règles de la Fonction publique ». Qu’on est loin, vraiment loin du Sénégal, où un président de la République peut tout se permettre, et sans frais !
Un tout dernier exemple de bonne gouvernance, qui nous éloigne encore plus du Sénégal : en novembre 1995, Mona Sahlin, numéro 2 du Gouvernement social-démocrate suédois, a payé quelques achats, dont une barre de chocolat, avec sa carte bancaire professionnelle. Elle s’était expliquée et avait remboursé, mais rien n’y fit : l’opinion publique ne l’avait pas entendu de cette oreille, et elle finit par démissionner.
Oh ! J’en entends déjà qui me rétorqueront que je suis naïf, que je suis un idéaliste, que ce n’est pas réaliste de comparer le Sénégal aux pays scandinaves. Pas du tout ! Je ne suis ni naïf, ni idéaliste. J’ai bien la tête sur les épaules et sais faire lucidement la part des choses. La bonne gouvernance est une valeur universelle, à laquelle aspirent tous les peuples. Plus près de nous, les Iles du Cap Vert, et un peu plus loin, le Botswana, font des efforts importants pour se rapprocher de ces pays exemplaires que sont les Pays scandinaves et de nombreux autres. Reprenons-nous, sortons de notre torpeur et soyons plus exigeants vis-à-vis de nos gouvernants ! Ils profitent de notre indolence pour piller sans état d’âme nos maigres ressources nationales.
Les fautes qui ont valu la prison ferme à l’ancien président Lula da Silva, celles qui ont poussé à la démission son successeur Dilma Roussef et l’ancienne présidente sud-coréenne, ainsi que l’ancien numéro 2 du Gouvernement social-démocrate suédois, sont pratiquement des peccadilles par rapport aux graves forfaits que l’ancien président Wade a accumulés pendant douze longues années, sans jamais avoir été inquiété le moins du monde. Aujourd’hui, on veut nous le présenter comme un héros, nous faire oublier ses crimes (je pèse mes mots) et nous préparer à sa réconciliation avec son ex-fils, l’autre pôle de la mal gouvernance, sur notre dos. Il m’est difficile, très difficile de me laisser entraîner dans ce jeu. Dans quelques prochaines contributions, de la taille de celle-ci, je passerai successivement en revue ses plus lourds forfaits, certainement déjà connus d’une bonne partie du public, mais qu’il faut rappeler sans cesse. Le vieil enseignant que je suis croit à la vertu du rappel, dont le prochain sera dédié au pillage systématique de nos maigres réserves foncières, par le président-politicien Wade et son clan.
Dakar le 31 octobre 2017
Conciliabules pour réconcilier deux pôles de la mal gouvernance (suite) : la rocambolesque rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’ !
Cette deuxième contribution devrait être dédiée au pillage systématique de nos maigres réserves foncières par l’ancien président-politicien, comme je l’annonçais en concluant la première. Ce scandale fera l’objet de la prochaine contribution, la troisième. Pour des raisons d’antériorité, je consacre celle de ce jour au premier mensonge d’Etat de la gouvernance du ‘’créateur de milliardaires’’. Il s’agit exactement de la rocambolesque rénovation de l’avion de commandement, ‘’La Pointe de Sangomaar’’.
L’une des toutes premières préoccupations du nouveau président de la République a été, dès son entrée en fonction, de disposer d’un avion neuf. Arguant de raisons d’économie budgétaire, il opta pour une révision générale de l’avion de commandement. Une révision qui se déroula dans l’opacité la plus totale. Quelque temps après, un très luxueux palais volant est réceptionné avec pompe à Dakar, en présence de toute la République, avec une très large couverture de la télévision nationale, à l’époque toute bleue. Le Président de la République aux anges déclare alors au peuple sénégalais, pour le rassurer, que « la rénovation n’a pas coûté un franc Cfa au contribuable sénégalais, et que ce sont des amis qui ont préféré garder l’anonymat qui lui ont avancé l’argent ». Rares étaient les compatriotes qui s’imaginaient, à l’époque, qu’il nous racontait des histoires : il était encore en période de grâce et nombre d’entre nous étaient loin de soupçonner la véritable nature de l’homme. Ce n’est que trois ans après, que nous nous rendrons compte, que notre tout nouveau Président de la République nous avait tous roulés dans la farine.
C’est notre compatriote Abdou Latif Coulibaly, alors journaliste d’investigation, qui éclairera notre lanterne. Il jeta un véritable pavé dans la mare, en publiant, le 17 juillet 2003, un retentissant brûlot : « Wade, Un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ? », Les Éditions Sentinelles, Dakar. M. Coulibaly révéla que, « après sa prise de service, Abdoulaye Wade a aussitôt manifesté le désir d’acquérir un avion flambant neuf. Des conseillers autour de lui et le Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Mactar Diop, tenteront de l’en dissuader. Avec beaucoup de peine, il est vrai, ils y parviendront » (page 177). ‘’La Pointe de Sangomaar’’ avait été d’abord proposée à la vente mais, finalement, la révision générale de l’avion de commandement a été proposée et retenue. M. Coulibaly révéla aussi qu’une firme anglaise (SFR Aviation) a été préférée à une entreprise américaine (BF Goodrich) qui, pourtant « (…) proposait pour tous les travaux envisagés, la somme de 16 millions de dollars, soit un peu plus de 10 milliards de francs Cfa. Donc beaucoup moins cher que l’offre anglaise estimée à 18 milliards de milliards de francs Cfa » (page 177). Cette préférence pour la firme anglaise beaucoup plus chère pouvait bien se comprendre : Karim Wade avait ses entrées et sorties à Londres où il a travaillé jusqu’au 19 mars 2000.
L’ancien journaliste d’investigation allait bien plus loin. Dans son autre livre « Sénégal, Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande », L’Harmattan, Paris 2005, il revenait largement en annexes (pp.195-211), sur la rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’.S’appuyant sur des informations et documents officiels précis, il estimait alors le coût de la rénovation à au moins 31 milliards de francs Cfa, tirés de l’argent du contribuable, dans des conditions des plus opaques. En réalité, les ‘’généreux amis’’ dont parlait l’ancien président-politicien n’existaient que dans son imagination.
Après la parution du premier livre de M. Coulibaly (juillet 2003), l’hebdomadaire Jeune Afrique/L’Intelligent n° 2225 du 31 août au 6 septembre 2003, est revenu avec le Président de la République sur cette nébuleuse affaire de la rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’. Le journaliste lui a notamment posé cette question-ci : « Une commission parlementaire va se pencher sur l’opération de rénovation de l’avion présidentiel (…). Une affaire plutôt embrouillée, qui semble s’être déroulée dans la plus grande opacité et qui aurait coûté, si l’on en croit Coulibaly, 28 millions de dollars à l’État. »
Me Wade répondit alors, en s’imposant un aplomb qui lui faisait cruellement défaut cette fois-ci, et se perdit dans des explications laborieuses qui n’avaient point convaincu le journaliste de ‘’Jeune Afrique’’. Ce dernier revint à la charge et, anticipant sur la réponse du Président-politicien, posa cette question : « D’où l’utilisation des fonds routiers sénégalais ? »
« Faux », s’empressa-t-il de répondre, avec une indignation feinte. Il reconnut quand même avoir « puisé dans un fonds résiduel du Ministère de l’Équipement intitulé ″autres opérations routières″ » et non dans des fonds destinés à des routes ! Il rejeta aussi le montant qu’il estimait à ‘’seulement’’ 10,5 milliards et non pas 15, « comme le dit Coulibaly apparemment fâché avec l’exactitude ».
Il continua ses laborieuses explications. La note de la facture étant lourde pour le Sénégal (17 milliards selon lui), il a fait jouer ses relations. Il aurait ainsi reçu notamment de Taïwan l’équivalent de 6 milliards de francs CFA de et un chèque d’un milliard 500 millions de l’Arabie saoudite. Ses autres amis qu’il a sollicités ne s’étant pas manifestés, il s’est retrouvé face à un gap de 10 milliards qu’il est allé chercher quelque part dans une rubrique du budget. Dix bons milliards, alors que l’on se rappelle l’assurance formelle qu’il nous avait donnée, que la rénovation de l’avion de commandement n’avait pas coûté un rotin au contribuable sénégalais. En réalité, il a puisé infiniment plus dans les différentes rubriques du budget, avec la complicité manifeste de son Ministre de l’Economie et des Finances d’alors (Abdoulaye Diop) et de ses services. Je renvoie le lecteur aux deux livres (cités) de M. Coulibaly, s’il veut en avoir le cœur net.
Les Sénégalais découvraient donc avec stupeur un gros mensonge d’Etat : la rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’ nous a couté les yeux de la tête, dans des conditions des plus louches. En réalité, des amis se sont manifestés, comme Taïwan qui a donné 6 milliards qui se sont volatilisés, comme se seront volatilisés plus tard, les autres fameux 15 millions de dollars de ce même partenaire. L’ancien président-politicien nous avait donc manifestement et publiquement mentis. Que personne ne m’oppose son âge ou sa fonction ! C’était d’abord à lui qu’il appartenait de les respecter et donc, de les faire respecter, en nous disant la vérité. Ce qui a été rarement le cas, tout au long de ses douze longues années de gouvernance meurtrie.
Voilà l’homme qu’on veut nous présenter comme un héros et dont on nous demande de passer facilement l’éponge sur ses forfaits gravissimes. Voilà le champion de la mal gouvernance, dont on nous prépare à la réconciliation avec l’autre champion, son sosie qui lui ressemble comme une goutte d’eau. Nous refusons catégoriquement d’entrer dans ce jeu, et continuerons de rappeler ses nombreux crimes, dans les contributions qui vont suivre.
Dakar, le 5 novembre 2017
Conciliabules pour une réconciliation des deux pôles de mal gouvernance (suite) : une boulimie foncière à nulle autre pareille
Comme je l’annonçais dans ma deuxième contribution, celle-ci, la troisième, passera en revue la boulimie foncière du vieux président-politicien. Du moins, ce qu’elle peut en passer, car il faudrait plus qu’un livre pour faire le tour de cette question. Dès l’entame, me revient ce fameux ‘’relookage’’ du Centre international pour le Commerce extérieur du Sénégal (CICES), qui devait abriter la première Conférence internationale sur le NEPAD. Nous étions tout au début de la gouvernance qui allait nous réserver toutes les mauvaises surprises. Le marché du ‘’relookage’’ a été attribué à l’architecte Pierre Goudiaby Atépa. Le montant nécessaire pour la réfection de la structure, 850 millions, « n’était pas budgétisé dans les comptes du Trésor’’. Et notre architecte suggéra au vieux président-politicien de « vendre une partie des terrains disponibles jouxtant la Foire afin de trouver cet argent ». La vente n’eut pas finalement lieu, « les acquéreurs se faisaient désirer ».
Je rappelle cet épisode parce qu’il me posait vraiment problème à l’époque. Et la question que je m’étais posée alors était celle-ci : « Comment Me Wade et son architecte conseil allaient-ils procéder pour vendre les terrains disponibles jouxtant la Foire ? » Je commençais à mieux comprendre la boulimie foncière que l’on prêtait déjà au nouveau Président de la République. Je comprenais peut-être encore mieux certaines nominations, notamment celle de feu Assane Diagne (que la terre lui soit légère !) comme Ministre de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire. On disait de lui qu’il connaissait Dakar comme sa poche, dans ses moindres recoins. Nous nous retrouvons donc avec un trio auquel aucune poche de terrain ne devrait plus échapper. Amath Dansokho, qui ne ménageait pas du tout Me Wade, faisait remarquer avec ironie, et peut-être en caricaturant un peu : « Á Dakar, les directeurs du Domaine et du Cadastre ont pour demeure la présidence. Chaque jour, ils lui disent les différentes poches qu’il distribue à sa guise ; il vient de créer, il y a deux semaines, une Agence d’Expropriation dont il est le chef. »[2]. L’hôpital Aristide-Le-Dantec et le Lycée Lamine-Guèye allaient connaître le même sort si, respectivement, les professeurs de médecine et les élèves ne s’y étaient pas opposés avec vigueur. Il envisageait également de délocaliser la célèbre Maison d’Éducation Mariama-Ba de Gorée à Diourbel, où il promettait de construire un Lycée de jeunes filles de 3 000 élèves. Là aussi, une résistance farouche lui fut opposée.
Malgré leur indolence et leur torpeur reconnues, les Sénégalais, du moins certains d’entre eux, finirent par manifester leurs préoccupations et leur indignation, face au décret scélérat du vieux président-politicien qui continuait de déclassifier les réserves foncières les unes après les autres, et vraiment sans état d’âme. La déclassification qui préoccupa le plus le très réservé Ousmane Tanor Dieng est, naturellement, celui du CICES, « dont une importante partie de l’emprise est aujourd’hui déclassée et aliénée à la faveur d’un lotissement d’habitation mis en œuvre dans une discrétion suspecte, proche de la clandestinité, est suffisamment édifiant sur le caractère pernicieux et dangereux de la gestion du patrimoine foncier public par des gouvernants insouciants et irresponsables »[4].
Le lecteur comprend donc mieux, après l’explication de M. Dieng, l’irresponsabilité et le manque de vision du vieux président-politicien. Du haut du Pont du CICES, on peut s’en convaincre encore davantage : de la réserve foncière des Socialistes, il ne reste presque plus rien. Partout, s’élèvent des villas et des immeubles somptueux, qui enserrent la Foire et la Gendarmerie. On a les mêmes profonds regrets, quand on sait comment le vieux président-politicien a aussi dépecé la réserve foncière du Stade Léopold-Sédar-Senghor. Entre autres projets importants, l’Arène nationale de luttes devait y être érigée, sur un site coincé entre le Stade, la Cité Keur-Damel et le nouveau Lycée des Parcelles Assainies qui longe la route vers l’Aéroport Léopold-Sédar-Senghor. Ce site, qui appartenait au Ministère des Sports, était sécurisé au niveau de la Direction des Domaines. En 2005, le Stade a été spolié d’une bonne partie de sa réserve, affectée à un projet immobilier au bénéfice des députés. Ce n’était pas tout d’ailleurs : des gens de la présidence de la République, des calots bleus, des ministres et autres membres du clan des Wade ont largement bénéficié du morcellement de la réserve foncière du Stade Léopold-Sédar-Senghor.
L’œil de Lynx du vieux président-politicien s’était porté aussi sur une autre réserve située à Pyrotechnie, où des parcelles étaient destinées aux magistrats (toujours eux !). Il s’empara d’une bonne partie desdites parcelles pour les besoins de la construction du « Quartier général » de son parti. Des sources dignes de foi racontaient alors qu’elles étaient mises ensuite à la disposition de la Sattar, une entreprise jumelle de l’alternance, appartenant à un certain Mbaye Diop, qui serait le frère du Ministre de l’Économie et des Finances (Abdoulaye Diop). La Sattar aurait donc construit le « Quartier général » du Pds, dans les mêmes conditions que Mbackiou Faye a fait construire le monument de la « renaissance » africaine par des Coréens sans visage (nous y reviendrons largement dans la prochaine contribution).
Les Almadies n’ont pas été épargnées. « Patrimoine immobilier : Wade sucre ses ministres », tel était le titre choisi par ‘’L’AS’’ du mercredi 21 juin 2006, à sa page 5. Et le journal de préciser que les Libéraux n’ont pas attendu longtemps pour se servir. « De Sacré-Cœur à Yoff, sur la Corniche, en passant par Ngor et les Almadies, les Libéraux y sont allés à fond dans la quête de la terre », poursuit le journal qui a bien raison : ils n’y sont vraiment pas allés de main morte, surtout dans la zone très courue des Almadies. Et le journal cite les personnes qui y ont bénéficié de grandes parcelles : Me Ousmane Ngom, qui était dans une mauvaise passe avant d’être pardonné par Me Wade[6]. Comme d’habitude, la Présidence de la République avait opposé un silence assourdissant à cette grave révélation. Celle-ci est d’autant plus vraisemblable que, quelque temps après son départ du pouvoir, le bruit courait que le vieux président vendait un gros titre foncier dans la zone. Il en vendait un autre du côté du ‘’Quartier général’’ du PDS. Les anciens présidents français et d’autres grandes démocraties ont d’autres préoccupations, des préoccupations bien plus nobles.
Pour revenir aux projets d’hôtels, un deuxième, plus modeste (2 385 m2), était en construction sur l’Avenue Pasteur, à côté de l’Institut éponyme, face à l’Océan. Un troisième se situait au pied des Mamelles et se construisait sur plus de 30000 m2. C’était le plus avancé de tous en matière de construction. Il serait encore en construction aujourd’hui et est bien visible des automobilistes qui passent dans les environs. Nous y reviendrons dans nos prochaines contributions.
Il convient de signaler quand même que de tous les projets d’hôtels qui devaient être construits dans le cadre des chantiers de l’ANOCI, un seul a été terminé et ouvert au public. Il s’agit de Radisson Blu, construit par Monsieur Yérim Sow, Directeur général de Properties Telyum, et dont le coût était estimé, disait-on, à 24 milliards francs Cfa[8]. En outre, l’Ocrtis français qui était à la traque de la société espagnole, avait informé, par une de ses équipes à Dakar, sur la véritable identité de ce groupe espagnol. On apprenait aussi que « Baobab Investissements » n’avait aucune intention de finir ses hôtels, son véritable objectif étant de transformer les supposés hôtels en appartements à vendre, en profitant ainsi de la fiscalité avantageuse sur les investissements en infrastructures touristiques. Le Ministère de l’Économie et des Finances découvrant le pot aux roses, semble-t-il, s’y serait opposé, évitant ainsi à notre pauvre pays un autre gros scandale[10], en sa qualité de directeur ou de président de la Sci Promobilière. Sans appel d’offres (le vieux président en avait horreur). Au terme de la convention qu’il appelle faussement la dation, la société devait se substituer à l’État pour payer la facture de 12 à 14 milliards aux Coréens, aux Coréens sans visage. En contrepartie, l’heureux promoteur de l’alternance reçoit de l’État, du vieux président-politicien plus exactement, cinquante-six hectares, trois ares et cinquante-six centiares (56 ha 03 a 56 ca) de la réserve foncière (encore une) de l’Aéroport international de Dakar. Et voilà le marché inédit conclu : le titre foncier lui est rétrocédé, soit 560000 m2 et poussières, à 4410 francs Cfa le m2.
Pour nous narguer vraiment comme il en avait la fâcheuse habitude, notre vieux président-politicien a voulu nous faire croire que les terres cédées étaient en friche et n’avaient pas, partant, une grande valeur. Il a voulu nous convaincre aussi que le montage financier (ou ingénierie financière, un concept qu’il affectionnait tant avec son fils chéri) pour la réalisation du monument dit de la Renaissance africaine se ferait sans le sous de l’État (nous avons déjà entendu cet argument). Comme quoi, toutes ces terres qu’il aliénait à sa guise n’appartenaient pas à la collectivité nationale, mais peut-être bien à lui-même. Á lui le président affairiste qui pouvait en faire ce qu’il voulait, et sans l’avis de personne. Ces « terrains en friche » étaient en vérité très courus par les Sénégalaises et les Sénégalais d’un certain standing, qui étaient prêts à les acheter à 250-300 000 francs Cfa le m2, s’ils en avaient l’opportunité.
Le ‘’partenaire’’ du Président affairiste qui avait réalisé la meilleure affaire de l’alternance, faisait donc manifestement la fine bouche. Il déclarait : « J’ai édifié le Monument de la Renaissance africaine d’une valeur de 12 milliards et l’État m’a payé en dation
[2] Il avait même ciblé une partie du cimetière catholique Saint-Lazare-de-Béthanie qu’il trouvait peut-être trop grand. Pour l’en empêcher, l’Eglise s’empressa d’entourer d’un mur tout l’espace qui lui était attribué.
[4] On a beau faire des reproches aux Socialistes, mais il leur arrivait d’avoir une vision, une bonne vision. Cette initiative en était une.
[6] La Gazette du 10 au 17 mars 2011, pp. 10-11-12.
[8] C’est l’Ambassadeur d’Espagne au Sénégal qui, interviewé par le quotidien Kotch du jeudi 26 août 2010, a livré cette information sur laquelle les jumeaux Karim Wade et Abdoulaye Baldé sont restés muets comme des carpes.
[10] Dans cet exercice, je serai appelé, de temps en temps, à citer des noms. Je ne les cite qu’en tant qu’acteurs des événements que je passe en revue.
[11] C’est leur argument-massue, mais il est faux, archi-faux. Ce mode de paiement ne pouvait pas l’être en dation. Le lecteur trouvera une définition exhaustive de la dation en paiement dans ma prochaine contribution. Ce sera celle tirée du Rapport de l’IGE sur lequel j’ai promis de revenir lundi prochain..